samedi 5 novembre 2011

« LES ÂMES DE NOS ÊTRES DEFUNTS NOUS VISITENT LES JOURS DE LA FÊTE DE LA TOUSSAINT »

« Almitas chamushankuña », « les âmes sont déjà en chemin », c’est une expression populaire des personnes qui attendent l’arrivée de l’âme des êtres chéris durant la fête de la Toussaint.

A Cochabamba les traditions et coutumes autour de la fête des défunts sont très diverses. Le dénominateur commun de la fête est la interrelation entre les êtres chéris de l’au-delà qui le jour du 1er novembre à midi jusqu’au lendemain à midi retournent visiter leur famille et amis en deuil pour les consoler et leur apporter de la joie.

Selon les coutumes de la culture quechua, afin de recevoir les âmes des défunts, la famille au sens large se réunit et prépare la table d’offrandes d’aliments pour le défunt, le « mast’aku » (en quechua) qui inclut les plats et boissons préférées du défunt et aussi les « t’anta wawas ou urpus ». Ce sont des personnages et symboles faits de pâte à pain légèrement sucrée qui représentent les âmes de l’au-delà et le monde spirituel catholique et andin comme par exemple le soleil et la lune qui représentent la complémentarité, la croix qui fait référence au catholicisme et l’échelle pour que les âmes puissent descendre nous visiter et remonter dans les cieux.

Au CEPJA (Centre d’Education Permanente Jaihuayco) chaque année la Fête de Todos Santos est une activité éducative communautaire que l’on réalise avec les enfants et jeunes du centre. Afin de ne pas perdre la coutume et tradition de cette fête face à l’invasion de Halloween (eh oui ici aussi on y a droit), les éducateurs/trices ont réalisé diverses activités comme la fabrication des symboles à base de pain et la mise en place de la table d’offrandes (« le mast’aku ») communautaire où les enfants ont pu amener des photos des personnes défuntes de leur famille ou bien simplement leur noms.

Il faut savoir que le « mast’aku » doit être prêt dès le 1er novembre à midi car c’est à cette heure-ci que les âmes des défunts commencent leurs visites dans le bas monde jusqu’au 2 novembre à midi. Durant cette période-là les maisons ouvrent leur porte aux personnes qui aimeraient les visiter et faire une prière pour leurs défunts. Les visiteurs et visiteuses, en grande majorité des enfants, reçoivent les petits pains et biscuits fabriqués (« t’anta wawas ») en guise de remerciement pour leur prières. C’est un beau cadeau pour beaucoup d’enfants qui viennent de grandes familles où l’on ne vit pas toujours dans l’abondance.

Finalement, le 2 novembre la fête de la Toussaint termine au cimetière normalement où selon la coutume la famille dit au revoir au défunt en se rassemblant autour de la tombe afin de partager la table d’offrandes, boire un verre (souvent plusieurs !), le tout accompagné par de la musique folklorique de cette époque-là de l’année. Rien à voir donc avec nos cimetières silencieux et souvent un peu déprimants à mon goût !

« Si tu t’occupes bien de l’âme du défunt, il y aura une bonne récolte »

Cependant, cette fête religieuse mêlée de coutumes et traditions indigènes- paysannes est aussi liée au calendrier agricole car en novembre c’est la fin de l’époque sèche qui est une époque critique pour la récolte et le début de la saison de pluie, c’est comme le passage de la mort à la vie d’une certaine manière.

Selon Wilfredo Camacho, chercheur anthropologue, l’origine de la fête remonte au temps des Incas qui avaient l’habitude de sortir leurs morts des tombes car ils considéraient qu’ils représentaient d’autres espèces humaines qui pouvaient intercéder pour eux et provoquer la pluie et une bonne récolte. C’est ainsi qu’ils les revêtaient de leurs meilleurs habits et leur donnaient la meilleure nourriture et les sortaient dans la rue en faisant comme une procession durant le mois de novembre qui était considéré comme le mois des âmes défuntes.

«La mort donne le jour à la vie »

Comme la vision de la vie est cyclique dans le monde agricole, selon Camacho, ce n’est pas un hasard si après le 2 novembre la saison des jeux de balançoire (la « wallunk’a ») et des amours commence à la campagne et les jeunes surtout partent à la recherche de leur âme sœur.

Il y a donc un temps pour chaque chose et les saisons marquent le temps. On a tendance à l’oublier dans notre train train quotidien dans les zones urbaines où l’on a souvent perdu la connexion avec le monde spirituel et celui de la mère terre. Que le mois de novembre nous aide à retrouver cette dimension-là dans nos vies !

vendredi 8 juillet 2011

FÊTE DU SOLSTICE D’HIVER : NOUVEL AN ANDIN « INTI WATANA »


Je vous invite cette fois à un voyage un peu spécial : imaginez-vous attendre le lever du soleil dans un site historique de l’ère incaïque et participez à un rituel d’offrande à la mère terre.

Nous voilà donc en route pour Incallajta (en quechua, littéralement, la cité inca) situé à 140 km de Cochabamba sur l’ancienne route à Santa Cruz à une altitude de 2050 m. C’est un des centres archéologiques plus grand et mieux préservé de Bolivie déclaré monument national. Ce site date de la fin du XVème siècle et c’était une forteresse militaire tout comme un important centre administratif, politique et cérémoniel de l’empire inca du Qollasuyu (ainsi s’appelait le territoire bolivien à l’époque).

Vue du temple principal, La Kallanka

C’est ainsi qu’ Edwin et moi avec un couple d’amis suisse-bolivien, Katty et Roberto, et des volontaires suisses-allemands nous sommes partis de Cochabamba avec tout notre équipement, tente, sac de couchage, lampe de poche, et habits chauds, victuailles, etc.. afin de passer la nuit du 20 juin dans la communauté d’Incallajta.

En Bolivie, il faut souligner que le 21 juin a été décrété jour férié depuis l’entrée d’Evo Morales à la présidence. Auparavant, la fête du solstice d’hiver n’était fêtée que dans les communautés indigènes paysannes andines et amazoniennes sans grandes manifestations culturelles et médiatiques comme c’est le cas maintenant. Pour les peuples indigènes cette date est importante car le soleil s’éloigne de la terre, voilà pourquoi ce jour-là on fête l’Intiwatana qui signifie littéralement attacher le soleil afin qu’il ne s’éloigne pas trop. Pour le monde agraire c’est aussi l’époque sèche durant laquelle les températures sont les plus basses (dans l’hémisphère sud) et la fin des récoltes et le début de la nouvelle époque de semailles. Cette cérémonie est donc réalisée afin de remercier la mère terre pour tout ce qu’elle nous a donné.

La salutation au soleil au lever du jour

A Incallajta nous avons donc pu participer à la veillée du 20 juin durant laquelle il y eut la célébration de l’akulliku communautaire (masticage de la coca) avec un accompagnement musical de divers groupes. Puis, à l’aube, à 5 h. du matin, nous avons escaladé la montagne jusqu’au site historique inca d’Incallajta où eut lieu le rituel de la k’oa puis le sacrifice du lama. C’est un peu choquant à mon goût ce sacrifice car beaucoup de sang est déversé mais selon la symbolique du rite, ce sang est une offrande à la mère terre. Ensuite l’on prépare cette viande de lama, qui est délicieuse il faut dire, afin de la partager avec toute la communauté en ce jour de fête.

Cette fois-ci la cérémonie fût très protocolaire et un peu différente que d’ordinaire car il y eut la visite du Vice-ministre Alvaro Garcia Linera, du gouverneur départemental Edmundo Novillo et autres autorités locales et dirigent(e)s paysan(ne)s afin de promulguer une loi qui récupère, préserve et diffuse toutes les pratiques cérémoniales du 21 juin sur le site cérémonial et archéologique d’Incallajta.

Le vice-président Alvaro Garcia Linera vêtu d'un poncho offert par la communauté

Voilà donc comment nous avons fêté le début de la nouvelle année 5519 selon le calendrier andin. Ouah, il semblerait que j’ai pris un coup de vieux selon la numération de ce calendrier mais je dois être avoir gagné en sagesse J après cette cérémonie, n’est-ce pas ? Voila pourquoi je suis digne de m'asseoir comme une autorité sur les sièges rouges officiels!!!

dimanche 12 juin 2011

RENCONTRE ANNUELLE DES VOLONTAIRES SUISSES ET PARTENAIRES BOLIVIENS


Le mois passé, du 9 au 12 mai, nous avons eu le plaisir de pouvoir une nouvelle fois nous rencontrer, ou re-rencontrer suivant les cas, entre tous les volontaires suisses et nos organisations partenaires boliviennes. Cette année ce fût une rencontre particulièrement grande, plus de 80 participant(e)s en comptant les enfants, car mis à part les 3 organisations suisses de volontariat, E-CHANGER, INTERTEAM, et INTERAGIRE et le LED (Service de coopération du Liechtenstein), nous avons aussi eu la participation de la MISSION BETHLEEM IMMENSEE, une organisation chrétienne d’entraide au développement basée à Fribourg et qui tout comme E-CHANGER fait de la cooper-action à partir de l’envoi de volontaires au Sud pour 3 ans. Les échanges interculturels ont été très riches dans l’ensemble et en voici quelques moments forts :

Ø Inauguration de l’évènement au travers du rituel andin de la k’oa. C’est un acte de réciprocité, donner pour recevoir : on fait une offrande à la mère terre afin de lui demander que notre rencontre soit fructifère et pleine de beaux échanges et apprentissages.

Ø Foire de présentation de nos projets au travers de stands d’information et de vente suivant les cas. Chaque organisation a donc présenté son travail de manière créative, ce qui a permis ainsi de connaître un peu mieux ce que chacun(e) fait et voir quelles synergies seraient possibles avec quelles organisations.

Ø Analyse critique de la conjoncture actuelle avec la présence de Rafael Puente, ex-préfet de Cochabamba, connu pour son activisme politique en faveur du processus de changement actuel. Il faut souligner que sa présentation a été plutôt critique et basée sur une analyse claire des raisons de certains échecs de la politique actuelle menée par le du MAS (Mouvement Au Socialisme : parti au pouvoir d’Evo Morales). Vous pouvez vous imaginer que ceci a suscité une riche discussion avec le public par la suite.

Ø Ativité sur le thème du RACISME comme conséquence de fausses interprétations de la réalité qui a été organisé par Proceso, une organisation partenaire bolivienne basée à Santa Cruz où y travaille une volontaire suisse d’E-CHANGER, Sarah Burkhalter. C’est au travers de quelques dynamiques que nous avons touché les thèmes des stéréotypes, des préjugés, des étiquettes et de l’ethnocentrisme.

Ø Rencontre interne de chaque organisation.

Nous autres, les volontaires d’E-CHANGER, avons profité de la visite de Bruno Clément en Bolivie afin d’échanger des informations sur le mouvement, discuter de certains changements comme par exemple sur le nouveau calcul de nos indemnités de base par zone en Bolivie et faire part de quelques suggestions afin d’améliorer la communication entre coordination- volontaires et E-CHANGER.

Et bien sûr, la soirée de FÊTE ne pouvait pas manquer avec plein d’animation, sketches, chants suisses et boliviens, et aussi de la danse jusqu’au bout de la nuit avec le pro de la sono Edwin Valdez J

lundi 4 avril 2011

50 ANS DU CARNAVAL DU SUD


C’est ainsi que s’intitule le premier numéro de notre revue du CEPJA (Centre d’Education Permanente de Jaihuayco où je travaille) que nous avons rédigé et édité afin de soutenir et promouvoir la célébration de cette fête traditionnelle qui fête ses 50 ans cette année. Même si tout au long de ces années, les autorités municipales ont considéré le Carnaval du Sud comme une activité marginale, on ne peut pas nier que c’est une « manifestation culturelle qui a réussi à agglutiner le dynamisme propre de la culture des peuples » selon les dires du responsable de la radio CEPJA, Rafael Alviz. En effet, ce carnaval réunit à des cliques, à des troupes de gens déguisés de la même manière, à des fraternités (groupe de danseurs/danseurs organisés et vêtus de costumes traditionnels), et des chanteurs/chanteuses de versets du Carnaval où existe la satire, la ridiculisation et une bonne dose de critique de la politique locale et internationale.
Présentation de la Revue lors de la fête du Carnaval retransmise en direct par radio CEPJA.

En effet, le dimanche passé (le 27 mars) j’ai pu voir de mes propres yeux la diversité culturelle de cette manifestation populaire: groupes de danseurs masculins déguisés en femmes, notamment en Shakira (chanteuse colombienne fort appréciée ici), musiciens et danseuses de « moseñada » ou « zampoñada » (rythmes typiques du Carnaval de l’Altiplano), chanteurs/chanteuses de versets typiques du Carnaval de la région du département de Cochabamba ont côtoyé des satires de personnalités politiques comme Kadhafi, Chavez ou des « Narcos » (trafiquants de cocaïne). Le local et le global se rencontrent donc dans la joie pour célébrer cette fête du Carnaval du Sud qui se caractérise pour être un lieu où l’on s’amuse en se mouillant au travers du lancement de ballons remplis d’eau et où les hommes aiment particulièrement se déguiser en femmes d’une manière plutôt « sexy » dirons-nous !.

Shakira

Lors des interviews réalisées aux directrices des écoles avec lesquelles nous travaillons, ce genre de pratiques a été critiqué comme étant le reflet de la culture machiste en plus d’être vulgaire vu l’accoutrement des hommes peu vêtus. « C’est un manque de respect vis-à-vis des femmes en général et aussi un manque de créativité » souligne Marina Rodriguez, la directrice du Jardin d’Enfants San Joaquin.

Afin de sensibiliser la population à ce genre de coutume peu respectueuses des femmes et aussi de l’environnement (gaspillage d’eau), il est intéressant de souligner que cette année une ordonnance municipale a été promulguée, grâce au lobby de notre conseillère municipale Maria Isabel Caero, afin d’interdire l’usage des ballons remplis d’eau et celui des déguisements d’hommes en femmes enceintes pour des raison de politique de genre favorisant le respect envers les femmes et contre l’usage de la violence. Il faut savoir que ce sont nous les femmes qui sont généralement la cible du lancement des ballons d’eau (parfois même congelés !) lors des fêtes du Carnaval et je peux témoigner que c’est vraiment douloureux en plus d’être humiliant de se retrouver toute mouillée en plein milieu de la rue et de la journée! Cette année donc, grâce à une certaine application de cette ordonnance, l’ambiance des fêtes du Carnaval a été plus tranquille et moins stressante, ouf, je n’ai plus eu autant peur de sortir de la maison !

Moseñada

Mis à part ces coutumes, on ne peut pas parler du Carnaval à Cochabamba sans mentionner la tradition des couplets du Carnaval qui sont créés et chantés par les gens eux-mêmes sur des thématiques diverses et accompagnés généralement d’instruments typiques dont l’accordéon. Lors de la commémoration de la journée internationale des femmes le 8 mars, un collectif de femmes (la Plateforme des Femmes) a organisé une action fort créative d’incidence politique, chanter des couplets de revendication de leurs droits pour un budget municipal assigné aux femmes. C’est une chanteuse fort populaire de la ville, Betty Veizaga, qui les a accompagnées devant les portes de la municipalité de Cochabamba. Voici donc quelques extraits de couplets traduits de ma part sans les rimes en espagnol:

Depuis le premier jour

Durant le mois de janvier

Nous demandons justice

Equité de genre

Aux municipalités

Qu’ elles nous donnent de l’argent

Sinon nous les pendons

Avec une cravate

De maires bien gros

Ai, nous n’en voulons pas

Oui, nous demandons de l’argent

Et ils font la sourde oreille

Ici les femmes

Nous voulons des financements

Afin de travailler

Dans des micro projets

Refrain :

Toutes les femmes

Avec les municipalités

Travaillons ensemble

Ah quelle merveille !

De nuit et de jour

Comme en famille.


dimanche 13 février 2011

Fin du Forum social mondial à Dakar

« Un pas en avant significatif pour les mouvements sociaux africains »

Une mobilisation populaire massive lors de l’ouverture, le dimanche 6 février ; la diversité dont témoignent les centaines d’ateliers et d’assemblées thématiques ; les mini-mobilisations en faveur de causes spécifiques à l’intérieur du campus de l’Université nationale Cheikh Anta Diop (1) : tout cela a donné le ton à la session de Dakar.

Trois grandes thématiques ont prévalu : les femmes, avec leurs organisations et leurs réseaux ; la lutte des paysans contre l’accaparement des terres ; et plus particulièrement les migrants.

En résumé, les rencontres de plusieurs mondes dans un même espace. Des signes d’un forum social mondial qui, malgré les problèmes organisationnels initiaux, s’est terminé à la hausse ce vendredi 11 février. Et, au niveau des résultats, il aura dépassé les perspectives les plus optimistes de ses coordinateurs africains.

« C’est une grande surprise pour nous-mêmes, notamment en ce qui concerne la mobilisation que le FSM a suscitée et par la participation massive, qui a dupliqué nos prévisions initiales (40-50.000 participants) », souligne Taoufik Ben Abdallah, un intellectuel et militant tunisien, membre du comité africain d’organisation.

Dans son bilan, Taoufik Ben Abdallah ne dissimule pas l’autocritique relative aux « graves problèmes d’organisation, le premier jour » [ndr : les activités du FSM furent partiellement paralysées, faute d’aulas libres pour les réaliser] et par « les manques techniques que, dans quelques cas, nous n’avons pas réussi à surmonter ».

« Dès le début, ce qui a le mieux fonctionné, ce sont les villages (tentes) des femmes, des paysans, des migrants et des syndicats ». En résumé, la partie du FSM impulsée par les mouvements sociaux : ces derniers, dans la soirée du jeudi 10 février ont approuvé la « Déclaration de Dakar », une radiographie-extraits de nombreux débats de ce forum, de leurs priorités de mobilisations futures et de l’agenda commun des actions prévues pour l’année 2011.

Si l’on tente d’évaluer l’impact de la session de Dakar dans la vie interne du processus initié en 2001 à Porto Alegre (Rio Grande do Sul, Brésil), ses pulsions vitales relèvent davantage de la continuité que de brusques changements conceptuels.

« Le FSM est un espace ouvert. Nous ne nous proposons pas de réunir tous les acteurs participants pour leur imposer une volonté politique unique. Au lieu de l’ouvrir, une déclaration finale, risquerait de diviser et d’affaiblir le FSM… Cela n’empêche pas les mouvements, réseaux et compagnes travaillant ensemble de pouvoir produire leurs propres déclarations communes, comme cela est arrivé dans des sessions précédentes », souligne Taoufik Ben Abdallah

Le FSM de Dakar et de l’Afrique

Les soulèvements populaires survenus ces dernières semaines en Tunisie et en Egypte étaient omniprésents dans les débats du FSM. « Il s’agit d’une conjoncture politique que l’on n’avait pas vu depuis des années. La Tunisie et l’Egypte sont des pays africains, ce sont des nations arabes… et ce qui s’y passe a un impact direct sur tout le continent et dans l’ensemble du monde arabe », explique l’intellectuel sénégalais Demba Moussa Dembélé, directeur du Forum africain des alternatives et également membre du comité d’organisation.

« Beaucoup d’autres chefs d’Etat africains tremblent aujourd’hui en voyant ce qui se passe. Et le message est clair : les peuples ont toujours le dernier mot », souligne Moussa Dembele. Celui-ci ne doute pas que ce qui vient de se vivre à Dakar « signifiera un apport direct à la consolidation des mouvements sociaux africains ».

La majorité de ces mouvements – souligne-t-il – sont représentés au sein du Forum social africain (FSA) et sont venus à Dakar avec leurs programmes et leurs revendications propres par rapport à leurs luttes spécifiques dans leurs pays et érgions.

« Ce sera l’une des tâches du FSM – qui fédère la majorité de ces mouvements -, une fois la session de Dakar terminée, de voir comment systématiser les idées, les propositions et les campagnes, et de penser comment renforcer ces mouvements là où ils sont déjà présents. Et surtout comment étendre le concept du Forum dans ces pays ou régions du continent, où sa présence est encore faible ».

Selon Moussa Dembélé, dans le cadre de ce large processus d’accumulation de forces, il y a deux objectifs : « renforcer ces mouvements pour qu’ils articulent leurs revendications propres en faveur de la population africaine ; augmenter leur capacité d’interlocuteurs face aux pouvoirs publics dans tout le continent ».

Pour l’intellectuel africain, « le grand débat de ce FSM a touché les thèmes essentiels des grands défis auxquels sont confrontés l’Afrique et le monde. Nous pouvons mettre sur la table les grandes questions qu’affronte le continent : la thématique agraire, la souveraineté alimentaire, les ressources naturelles, la démocratie, la souveraineté des peuples ».

En ce sens, la session de Dakar « a développé une réflexion sérieuse et profonde, dépassant l’aspect de la protestation habituelle des mouvements sociaux contre la guerre, contre le changement climatique, les crises financières, l’accaparement des terres, etc. »

A Dakar, « l’Afrique a affirmé sa conscience. Nous en avions rêvé et nous en confirmons le succès : cette session marque une étape majeure dans le développement du mouvement social, aussi bien à l’échelle africaine que mondiale ».

Pour Moussa Dembélé, « Dakar marque une rupture et une nouvelle étape. Une rupture par rapport à l’accent mis sur la protestation et par rapport à la séparation parfois vécue entre les mouvements sociaux et le monde politique ».

Les changements en Amérique latine sont possibles « par le rapprochement étroit entre ces mouvements et le pouvoir politique. La réflexion menée à Dakar nous conduit à penser que tout changement de société implique aussi bien les mouvements sociaux que le monde politique. Et cela exige une nouvelle volonté politique commune », conclut Moussa Dembélé.

Sergio Ferrari (à Dakar, Sénégal)

Traduit de l’espagnol : H.P. Renk

1) Cheikh Anta Diop, historien et anthropologue sénégalais (1923-1986) : son œuvre essentiel a été consacrée à la mise en valeur du rôle de l’Afrique dans l’histoire des civilisations humaines. Cf. sa notice biographique sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cheikh_Anta_Diop

Annexe :

« Nous avons gagné la bataille de l’information »

Des centaines de journalistes, particulièrement venant d’Afrique, ont couvert le FSM de Dakar. Beaucoup d’entre eux appartiennent à des médias alternatifs.

La presse locale sénégalaise a couvert cette session de près. Le journal « Le Quotidien » a publié une édition séparée, « Flamme d’Afrique », publication propre du Forum et de ses organisations africaines.

L’événement fut aussi couvert systématiquement par la BBC et Radio France Internationale, qui lui ont accordé des espaces relativement larges dans leurs programmes quotidiens.

« Ce fut l’un des principaux succès de cette session de Dakara en matière d’information », relève Bernard Bokodjin, sociologue de la communication. Militant du « Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde » (CADTM), dans son pays – le Togo -, Bokodjin est arrivé il y a trois semaines à Dakar pour renforcer bénévolement le petit groupe de presse du Forum.

« Je pense que, malgré nos limites, le FSM a gagné la bataille médiatique, plus particulièrement en Afrique », souligne Bokodjin. « C’est aujourd’hui un défi pour le Conseil international et les organisateurs africains du FSM de garantir la continuité de ce travail, de s’approprier réellement ces contact pour continuer d’informer et ainsi garantir que le processus du Forum continue d’avoir l’impact médiatique qu’il mérite » (Sergio Ferrari)

Atelier E-CHANGER et MST Brésil lors du FSM Dakar